25 Juin 2014
Fleuve.
Paisible comme endormi au pied des grands saules pleureurs, le fleuve somnolait en rêvant aux ombrelles d'autrefois. Là où quelques bouquets de nénuphars étalaient feuilles au soleil de Juin, là, un air d'accordéon faisait valser de jeunes filles aux parfums de roses fraîches. Chaque pas soulevait une dentelle et chaque regard langoureux emporterait un cœur vers les lits de sable où il viendrait s'échouer.
Alors, dans un imperceptible remous, une autre valse de l'oubli languirait à plaisir sous l'ombre des géants assoupis.
La guinguette souriante est encore fermée. Ses planches recouvertes d'une mousse dorée appellent vers des rêves d'antan que la péniche lente vient troubler d'une vague insolente.
Chemises ouvertes comme voiles au vent d'été, les moissonneurs tourbillonnent serrant tailles fines comme gerbes d'épis. Valsent les cœurs et les robes légères dans ce bal enfantin offert au gré du temps.
Prés du comptoir fané, une coupe poussiéreuse assoiffée de vin blanc et de santés à la jeunesse de vivre et la joie d'être aimé.
Elle attend l'ivresse qui chavire dans un oui avoué et regrette déjà les pas qui s'enfuient vers l'ombre d'un taillis, la fraîcheur envoûtante d'une douce prairie et ces baisers légers comme délicatesses à la surface des eaux frémissantes d'envie.
Le regard s'est fané de départs malheureux.
Le pas d'un vieil homme traîne sur le chemin épousant le fleuve comme on accompagne une veuve la tenant par le bras. Sous l'ombre de la voilette, sillons creusés comme on ouvre la terre aux cœurs enfouis dans l'absurde d'une guerre.
Souvenirs douloureux embrumés au détours du méandre, remontant d'un passé que les gens d'aujourd'hui préfèrent oublier.
Le moulin qui s'est tu, cliquetis de machines et volutes de farines. Fini le chant des meuniers et ceux des sirènes languissantes de la senteur du blé. Les roues à aube sont figées et l'eau ne coule plus dans les gorges avides de montrer leur vaillance.
Un brochet immobile imite une branche enfouie sous la berge. Le fantôme qui passe lui est indifférent. Il a laissé ses gaules sous le toit d'une grange aux réserves d'alcool qu'il ne boira jamais.
Pourtant Juin appelle aux langueurs de l'été et le songe dérive en suivant nonchalant une barque aux rames immobiles et au regard distrait.
Le temps retient son souffle dans les ruelles bordées de jardins souriants aux fleurs épanouies et la côte surprend remontant vers le clocher du village.
Un sermon plane encore sous la flèche qui se tord en silence de ces secrets d’alcôve ou de ces meules de foins qui ne sauraient parler.
Il pleut maintenant en rondes éphémères que fuit la libellule, luisante comme un éclair bleuté.
Roulent de longues plaintes sous un ciel suspendu en vagues de coton. Grognements qui s'éloignent se perdant au lointain vers d'autres paysages que ceux d'ici connaissent pour y avoir travaillé.
Retournant au pays sur les chemins de halage, parfois ils revivent le naufrage d'un exil illusoire. Même ici, leurs souvenirs échappent à la force tranquille du fleuve.
Si parfois, leurs pas si lourds les conduisent vers la source, leur vie glisse en aval, inexorablement, vers une mer sans fond que le chagrin grandit.
Quelques fois surgit une île couverte de verdure sous la quelle un déjeuner de rois étale ses toiles blanches. Frères et sœurs sont réunis taquinant la bouteille au son d'un gazouillis d'une tendre hirondelle.
On y refait un monde enseveli sous le sable de nombreuses années. Les affaires juteuses comme des fruits bien murs laissent au bord des lèvres quelques gouttes de nectar sur un sourire en coin.
Les regards se font tendres et le mot est complice, réunissant par magie l'ancien et le nouveau. Paisibles sont les jours qui s'attardent dans la douce chaleur que l'amour fraternel renforce de vigueur.
L’île sombre elle aussi avec le soir qui grandit lorsque le quotidien renaît sur le chemin du retour, à l'heure de rentrer.
La balade s'achève, le rêve est terminé...
Mais, demain aux heures lourdes de l'ennui, se faisant impérieux, le besoin de revivre animera les pas vers les rives d'antan où il fait bon aller.
Les péniches lourdes de blé ouvriront de grands sillons dans la mémoire. Ils viendront ranimer les fleurs de nos amours sur les aires du temps.Écloses à souhait l'espace d'un instant et déjà qui replongent sous la ramure du saule dans un murmure qui meurt au soir de nos vingt ans.
Le fleuve magique allumera ses lampions et qui sait au détour, si soufflant sur les berges, un accordéon glissera quelques romances au voyageur solitaire.
Miroir de nos vies profond et mystérieux, le fleuve nous sourit de reflets colorés que la nuit il transporte jusqu'au port de nos âmes.
Force que rien ne saurait dévier, il creuse inlassable pour ne laisser plus loin qu'une île ou un banc de sable.
Assis et contemplant l'onde paisible nous en oublions presque les crues aux eaux boueuses ainsi que les ravages laissant aux berges de l'age cet aspect dévasté.
Claudicants et démunis de la force d'aimer, il reste le souvenir de nos jeunes années. Parfois il peut être tentant de tout abandonner en plongeant dans le noir du fleuve messager. Alors, le parfum d'un seul soir de musette suffit à ranimer la flamme vacillante qui éclaire nos pas. Sur ce chemin qui s'efface déjà, nos derniers sourires, glissant telle une barque vers ce soleil couchant et la vie qui chavire au tendre firmament. Au delà l'horizon viendra un autre soleil que d'autres aimeront et si les blés sont murs, il y aura des chansons.
La guinguette s'éclairera de sourires moqueurs d'un temps bien malhabile qui force les langueurs en valses de dentelles aujourd'hui disparues.
Souvenirs que d'autres n'ont pas, ils renaissent pourtant sur la feuille d'un nénuphar qu'une libellule vient de visiter.
Un banc est tout prés et les badauds sont là à attendre un été promis de longue date.
Les rires des enfants et le hoquet d'un pêcheur qui vient de relancer sa ligne vers des rêves mangeurs. Le pas du voyageur se repose écoutant la lenteur indifférente aux allées bruyantes de vacanciers éméchés.
La nuit ouvre ses portes engloutissant un monde qui ne se souvient pas.
Ailleurs la vie reprend ses droits, ici elle glisse et s'en va vers des cieux inconnus toujours recommencés.
Le fleuve est pourtant là, glissant comme une couleuvre dans l'herbe humide de nos nuits étoilées. Plus qu'un rêve, c'est une réalité à qui sait voyager en suivant le cours sinueux et puissant.
Chantent les rainettes dans les arbres ployés inventant la guinguette de nos jeunes années. Sous l'ombre de la ramure à l'abri de la lune, le temps s'est effacé.
Nous y retournerons tout au long de l'hiver loin de ses morsures et de ses glaces figeant le moindre mouvement. Fleuve qui baigne l'espace de ta douceur lancinante, dorlotant en silence l'ombre d'un champ de blé, tu noies la démesure par ta régularité. Reposant et tranquille tu donnes le prétexte au voyage éternel vers la mer apaisée...
Je vous laisse le loisir d'aller vous ressourcer sur les berges fleuries aux ombres bienfaitrices tout autant que l'azur qui vient les visiter.
Voyageurs de la nuit profitez du soleil et du temps des vacances pour aller vers l'éveil d'un temps qui fait valser. Sur des notes d’antan vous trouverez la route qui mène au fleuve reposant sous la voûte étoilée.
Bon voyage vers la Mayenne ou tout autre contrée apaisante et riche de la tranquillité !
La terre de France sait nous les révéler sitôt que l'on quitte les axes principaux faits de banalités.
G.