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Dissidences Pyrénéennes.

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Trois roches...

Trois roches...

La montée aux estives était longue de patience et pleine autant de troupeaux tintant et claquetant de sabots que de silences mûrissants sur une terre tendre couverte de verdure.

La meneuse était fière de sa belle sonnaille, de ses pompons rouges et de la couronne de fleurs dont le parfum guidait toute la "vacada".

Elle connaissait ce chemin sans age que d'autres avaient tracé. Certes aujourd'hui, quelques lacets de bitume servent d' échelle en détournant la menée des passages anciens. Mais l'esprit et la verdeur enivrante étaient toujours là.

L'espace vibrait de cette joie de monter vers les pâturages et de cette aventure qui renaît chaque année. Le cycle sans cesse se renouvelait. Chaque meneuse recommençait dans les pas des aînées. Devant, le vacher qui garderait le troupeau cette année, derrière le taureau et les pagés.

Les gros "patous", aux traces larges autant que leur gueule puissante, aux colliers cloutés, étaient au milieu des bêtes comme sœurs jalousement gardées de quelque malandrin qui leur voudrait du mal. Sur les flancs, quelques jeunes garçons de ferme appuyaient la longue montée, avec bâtons et chiens de conduite. Ils rameutaient les vêles effarouchées de l'envol d'un oiseau et les écervelées en quête de nouveauté.

Tout ce petit monde s'était retrouvé les jours précédant à se réunir de toutes les fermes du village et de ses environs.

La Vache meneuse se révélerait au cours de joutes spectaculaires où s'affrontaient celles qui croyaient dominer. Ce n'est qu'après, que chacune trouvait sa place naturelle au sein de cet ensemble mouvant comme une seule vague.

La vacada formée serait homogène sous le commandement logique de la plus forte, de la plus courageuse, mais surtout de celle qui connaissait l'Art de bien se placer.

Arrivée aux premières prairies, aussitôt le vacher, surplombant le troupeau, ferait pâturer le bas avant d'aller vers le haut. Il lui fallait tenir bon contre l'envie folle d'atteindre les sommets. Il y avait aussi ce mal qu'il faut patienter dans les bois à supporter les mouches. Cette année, elles ne manquaient pas et il fallut toute l'énergie des jeunes pour sans cesse reformer le troupeau. Parfois quelques chercheurs de champignons se faisaient victimes de la complicité des vaches.

Lorsque les entendant vociférer de loin, les belles, dans le bourdonnement de ces mouches folles, allaient à leur rencontre. Ensuite, elles s'immobilisaient au point que les sonnailles en devenaient muettes. Une fois que les mouches étaient attirées par les mouvements de plus en plus désespérés des touristes, chacune doucement s'éloignait en laissant compagnie bourdonnante et piquante aux vacanciers téméraires. Le vacher laissait faire et savait chaque jour tirer profit de ces aventuriers inconscients pour donner des nouvelles à ceux d'en bas. L'important était de respecter la pâture progressive vers le haut. A cette condition, il y aurait le regain à la bonne saison et cette bande consommée ferait une barrière aux vaches nostalgiques des étables enfumées. Il en est toujours quelqu'une pour y être tentée, aussitôt que le vent ramène des effluves du fond de la vallée.

Seul on ne peut rien et quelques "aixórits" lui serviraient d'aides autant que de compagnie. Ils seraient ces yeux à qui il faut apprendre le regard, ces oreilles qui plus que d'écouter devaient entendre et ces corps à discipliner plutôt qu'à dépenser sans compter. Cette année ils seraient trois nouveaux qu'il faudrait éduquer.

Lorsque le bas fut consommé à souhait, laissant derrière lui pelouse tondue à faire des envieux parmi les golfeurs estivants, le troupeau monta un peu plus chaque jour.

Il y eut des journées aussi chaudes que pierres au soleil, il y eut aussi vents et orages qu'il fallait apprendre et s'adapter en regardant ce troupeau qui anticipait les événements naturels.

Seule la foudre pouvait surprendre, mais l'ancien commandait aux chiens et les chiens manœuvraient pour éviter les zones dangereuses.

Lorsque venaient des temps de répits où la paix s'était établie autant dans les cieux que dans le troupeau, l'ancien rassemblait les trois jeunes pour leur montrer les choses essentielles. Or, donc l'été s'avançait en costume plaisant orné de mille fleurs aux parfums enivrants. La réglisse avait remplacé la raiponse en épi et les genêts déployaient leurs senteurs en contre des rhodos qui déjà se fanaient.

Placés à bonne hauteur pour saisir l'ensemble du troupeau, à l'ombre d'un pin tourmenté par le vent, les trois jeunes exploraient cette mer immobile mais vivante, faite de montagnes.

Les questions ne manquaient pas et plus souvent l'ancien y répondait par d'autres questions que suivaient longs silences de réflexion.

Parfois aussi, il montrait une forme et alors expliquait.

Vous êtes trois comme trois roches immobiles leur disait il. La blanche fait des murs et des falaises abruptes. Elle barre le passage mais protège le troupeau.

Dessous elle, les grottes, là où on laisse le sel, les habits de rechange et parfois le fusil et la poudre au sec.

La rouge est en courbes et conduit le chemin par ses formes si douces. Par contre en dessous, elle cultive le fer qui conduit la foudre et forme les outils. Il faut s'en méfier car elle endort et se réveiller vient trop tard lorsque surgit l'orage.

Puis il est cette grise comme la mort qui forme pyramides et vision compliquée.

Elle est cette jument impétueuse qui rue des pierres lourdes et ses couloirs sont glissants d'herbes et de glaces. Elle vibre de ce qui se meut et chaque tremblement est révélateur autant de ce qui se passe en bas que de ce que l'on y fait en haut.

Vous serez ces trois roches tour à tour et il faudra apprendre à les domestiquer.

Mais plus encore il faudra les sentir et s'en imprégner car sous elles est la vie qui si on la respecte fait de vous de bons vachers.

Il leur apprit les simples et le temps pour les cueillir et bien les préparer.

Vois tu ce poison qui semble la gentiane, les bêtes en consomment lorsque vient la chaleur et que leur ventre gonfle que de mal digérer. Pour un être humain, cet escalier de feuilles ne conduit qu'à sa perte. Il leur montra aussi comme se soignent les isards lorsqu'il font le dos rond à la douleur que leur fait les cailloux dans leurs reins. C'est l' "azaoulet" comme disent nos voisins occitans.

Elle est toute petite et tapisse les crêtes. Ses fleurs sont d'un rose pâle, mais si discrète soit elle, son bois et tout son être sont un médicament qu'il vous faut connaitre autant pour prévenir que pour soigner ceux qui mangent trop de réglisse, ou d'épinards sauvages.

Là, colonie d'arnica, comme la vulnéraire elle soigne des coups. Puis là encore touffe de fougères qui cicatrisent les plaies.

Puis il est ces vesces de loup qui pètent sous le pied en nuages de spores. Elles font protection contre les infections. Puis, il y a les saules et aussi cette reine des prés qui lutte contre la fièvre et qui fait désenfler.

Là, c'est la rose achillée qui en bas est blanche mais qui soigne pareil toutes les cicatrices du dehors comme du dedans. Il est le millepertuis qui soigne des brûlures, des coups et des entorses...Puis aussi la scabieuse contre l' "anaïgament" où prés du ruisseau, la valériane qui fait odeur de chat mais calme les noirceurs des âmes tourmentées...

Chaque jour qui passait amenait son lot de plantes et bien des usages que l'on pouvait en tirer. Le jour est fait pour voir et la nuit, sous la voûte étoilée, autour du feu cerclé de pierres brutes, les enfants réfléchissaient comme des étoiles sur l'onde sombre des grands lacs.

Alors, avec une étrange ficelle, l'ancien faisait penduler une roche noire pour mesurer le temps et conter le ciel en mouvement. Chaque sommet devenait un repère et un rendez vous précis, lorsque sortent derrière, les meneuses de la nuit.

Parfois, lorsque le temps était au beau et le troupeau dans l'ombre à se reposer, ils allaient visiter les pierres d’alentours.

Là ,ce sont les marques des propriétaires, mais, juste à côté les gravures anciennes qui parlent de secrets. Ici, c'est la mère qui est représentée, celle que les chrétiens ont appelé Marie. Là ce serpent qui court sous la roche est cette force qu'il faut apprivoiser. Le bâton permet de le sentir et de savoir s'y appuyer. Il nous donne force et volonté, mais aussi soigne les estropiés si l'on en trouve le point où on peut le capter.

Ainsi passaient les jours et les nuits en distances et en temps qui s'apprivoisent sous une bonne conduite.

C'était il y a longtemps, hier peut être, mais il reste quelque part des êtres qui connaissent tout celà. L'un est encore berger, un autre sera maçon, charpentier et parfois architecte ou serrurier. Même loin d'ici, leur nature leur parle de ce qu'ils sont vraiment. Parfois l'un lève la tête et alors vient la magie qui le fait reconnaître sous le ciel du Pays.

Il est des enseignants qui croient tout savoir et qui ne savent rien de ce qu'il faut connaitre. Mais rien ne se perd, pourvu que l'on s'écoute et qu'au détour d'un chemin vient une source naître pour s'y désaltérer.

Prenez donc vos godillots et saisissez un bois de coudrier. Allez sur les chemins cultiver votre été. Peut être rencontrerez vous ces êtres étranges que l'on dit gardiens, mais faites attention aux chiens qui y font leur boulot !

Passez au large et n'incommodez point les paisibles troupeaux.

Si d'aventure les mouches vous embêtent, alors n'oubliez pas que c'est le mouvement qui les attire autant que les couleurs sombres. Elles ne sont là que peu de temps et servent à se rappeler des bons moments où elles n'étaient pas nées.

Les hommes silencieux et discrets qui conduisent leurs bêtes ne sont pas de celles qui s'apprivoisent vite et plutôt qu'un sermon ils préfèrent le silence où ils se réfugient à l'abri d'un refuge dont ils ont fait leur nid.

Ils sont aigles volant au dessus de vos têtes. Surplombant les troupeaux et aidés par le vent, ils sentent les mouvements des herbes et des êtres vivants dont on fait les légendes et histoires d'enfants. Courant dans l'herbe verte sous le ciel du Capcir, prenez donc le temps d'aller les rencontrer.

Alors, si le besoin en est, le service aidant, il pourront vous parler comme on parle du temps qui ne se perd pas en flânant sur la terre magique de nos belles estives...

Bon voyage et bon vent !

G.

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