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Dissidences Pyrénéennes.

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L'Ermite du Soula d'Inglars.

L'Ermite du Soula d'Inglars.

Soula d'Inglars 2 

Avant que la lueur ne glisse sur les pentes du Soula pour révéler les moindres plissements et replats de la croupe généreuse, le vieil ermite était déjà à pied d'oeuvre. Le petit feu de l'Orry caressait la pierre de ses langues orangées et la senteur de la résine embaumait l'espace réduit. La "tampe" qui fermait l'entrée de la construction ancestrale servait aussi de table improvisée. Sur la barre qui bloquait la petite porte, sèchait à présent, le peu de linge trempé la veille par une ondée inatendue et nourrie. Une fois le brouet d'avoine et de seigle avalé, quelques gorgées de tisane de serpolet pour faire glisser le tout. Le pot de miel que lui avait laissé son complice de la vallée touchait à sa fin. Il lui restait toutefois de ces minuscules petits cristaux de sucre de berce qu'il avait précieusement collecté sur les tiges entaillées.

Cette douceur donnait un tout autre goût aux breuvages qu'il préparait pour son quotidien. Il ne manquait jamais d'en faire provision durant la belle saison.

Ce matin, il lui fallait gravir les pentes pour aller récolter les tiges rampantes "d'Azaoulet". Pour prévenir et soigner les calculs des reins, il ne connaissait pas mieux. Certains, à force de consommer les épinards sauvages et l'oseille y étaient plus sensibles que d'autres. Alors un jeune du village grimpait jusqu'à lui pour venir chercher le médicament miracle.

Suivant l'éperon rocheux, de son pas sur et léger il avançait vers le col de la Marrane.

Dans la combe, une petite harde d'isards paissait paisiblement. Le vent frais descendait et nul ne remarqua son passage sous la ramure des pins sylvestres. Il rejoignait à présent la crête dégagée et le petit col des gavach's. Là s'étalait le reste des chambres funéraires des anciens. Le Cromlech était autrefois couvert d'une épaisse couche de terre, aujourd'hui disparue. Les dalles gisaient au sol, brisées pour certaines, par les pilleurs de trésor. Quatre monuments de la sorte ponctuaient les versants de la montagne sacrée. Sur les changements de saison, leur ouverture orientée laissait passer un trait de lumière jusqu'au fond de la galerie de pierre.

La montagne des Mères recellerait encore bien des secrets, pour bien des siècles encore !

CIMG0651

Aprés une courte pause à observer la mer de nuages envahir les contreforts du Pech de bugarrach, il se mit en quête de la plante recherchée. Sa récolte achevée, il ne pu résister au plaisir de pousser jusqu'au roc Nègre pour contempler le soleil se lever sur la mer et la plaine du Roussillon. Alors que tout baignait d'une douce lumière rosée, le mont Sinclair et sa pierre blanche lui désignait l'anse de Sète. Cependant, trois barres noires en provenant, venaient à toute allure annoncer un coup de vent violent qu'il faudrait esquiver. Aussitôt il repartit vers l'abri de Madres et son berger solitaire que parfois il rencontrait. La porte de l'orry était ouverte, mais aucun signe de vie ne semblait l'animer. Parlant peu par habitude, il se mit pourtant à appeler ce voisin original qui souvent n'en faisait qu'à sa tête malgrès les signes du temps.

Le petit troupeau était là, en contre bas, à glisser paisiblement vers l'étang de l'ours.

Aucune réponse nulle part. S'avançant vers le corral de pierres sèches il le découvrit recroquillé sur le sol. Son chien veillait encore sur lui, allongé à ses cotés. Aussitôt il comprit le drame qui s'étalait devant lui. Les yeux étaient vitreux, couverts d'un voile blanc et tout un pan de sa veste était calcinée.

Le malheureux n'aurait plus jamais faim, ni froid. La foudre avait frappé cet innocent.

Combien de fois il avait essayé de lui faire comprendre qu'il fallait fuir la crête lorsque montait l'orage. Plus sot que téméraire, son obstination lui avait été fatale.

Il entreprit de rentrer le corps à l'abri des bêtes sauvages. Le ramenant dans l'orry, il le recouvrit des peaux de mouton cousues en une couverture disparate. Le chien fixait le corps privé de vie et dont il semblait attendre encore un ordre précis.

Dehors, la tempête s'était levée arrachant ça et là, terre et débris de pierre qui mitraillaient à présent les murs de granit. L'Ermite entreprit une prière sur la dépouille du misérable. En appelant à Dieu, il évoqua la jeunesse de cet homme particulier qui depuis son enfance avait été éloigné des vivants parce que différent et peu réfléchi. Ne pouvant répondre avec satisfaction aux besoins du village et de sa famille, il avait été chargé du troupeau sur les estives désertes de la montagne sacrée.

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Le chien s'était endormi et le sage entretenait le petit feu dont les fumeroles s'échappaient par l'interstice des pierres formant la voute de l'abri.

Peu avant midi, le vent retomba. Alors, il sut qu'il fallait faire vite et redescendre vers la vallée. Le compagnon du berger lança un dernier regard à son maître, comme pour lui dire adieu et sortit à son tour de l'orry. Replaçant la "tampe", il la bloqua sur l'extérieur par la barre liée de lanières de cuir.

Le chien lui emboita le pas vers le roc Mary et le sentier qui menait au village en contre bas. Alors qu'il arrivait en vue du clocher, là haut, le ciel se zébrait d'éclairs toujours plus puissants les uns que les autres. Ce soir, pas question de remonter. Il trouverait le gite auprés du presbytère et de son jeune curé. Avant, il devait s'acquiter de sa tâche et prévenir la famille du malheur qui la frappait. Il les trouva dans la cour à décharger la dernière charette de foin que la veille ils avaient bâché et garée sous le auvent communal. Les traits tirés par l'effort et la volonté rivée sur la tâche du présent, ils ne prirent pas la peine d'accorder la moindre attention au porteur de mauvaises nouvelles. Le fourrage engrangé, les fourches remisées, le vieux l'emmena dans l'entrade pour l'écouter. Sans même sourciller le visage plissé par tant d'années d'efforts s'ouvrit sur une blancheur qui en disait long. Non seulement faudrait perdre une journée de travail pour aller chercher le corps, mais il faudrait de l'argent pour payer le cercueil et l'office au curé.

Ça tombait mal, la dernière pièce d'or était partie pour un procés de chasse au tribunal de Prades. De plus, fallait trouver quelque volontaire pour remplacer ce neuveu qui n'était même pas bon à garder les moutons. Il le savait, lui, le vieux, il devrait s'y coller au moins jusqu'à la descente du troupeau. Ce qui l'enchantait encore moins...

La moisson allait commencer, il faudrait des bras et il en allait en manquer !

Aussitôt, il lui vint une idée. L'Ermite ! Il avait le chien et il connaissait la montagne.

Il lui proposa le gîte et le couvert durant tout l'hiver, le temps qu'il lui faudrait pour former un nouveau berger.

Aprés une nuit agitée par une pluie batante de grêle et roulante de tonnerre, l'Ermite qui avait acquiéssé prit congé des habitants pour regagner le soula d'inglars et prendre quelques affaires. Il retrouverait le cortège pour la descente du corps vers son dernier refuge. Par la force des choses il se trouvait avalé par ce monde paysan et sa solidarité exigeante. Lui qui avait fui ses origines, pour rencontrer Dieu au quotidien, devrait renoncer quelques temps à sa tranquillité.

L'office se fit en Catalan et quelque peu en latin. Tous, la tête baissée, subissaient le sort qui venait de frapper. Les femmes en tabliers noirs pleuraient doucement sur cet innocent tandis que les hommes, la machoire crispée étaient déjà ailleurs à penser à de quelconques taches. Rien de devait entraver la farouche volonté de ces anciens guerriers. Pas même la mort, ni la peine n'avaient aucune place en ce monde, du moins à leurs yeux. La fatalité ! Ça devait arriver.

Une caisse en planches de pin faisait service de cercueil. Elle fut portée en terre dans un silence qui glaçait tout sur son passage. Ici on remerciait personne. Les familles se dispersèrent aussitôt aprés pour retourner à leurs préoccupations.

Avec un sac chargé de sel de contrebande, d'un peu de tabac et de quelques aliments, le vieux sage reprenait le sentier vers les tristes sommets.

Tous les quinze jours, il aurait la visite du vieux et de quelque apprenti pour le ravitailler, soigner quelque bête malade et préparer le rebours de la transhumance qui s'achevait avec les premières neiges.

Le chien semblait ne connaître que lui depuis toujours. Il n'avait pas son pareil pour rassembler les bêtes dés le lever du soleil. La journée s'étirait dans les pas du troupeau, marchant contre le vent et ratissant les moindres herbes fines qui poussaient ça et là entre la rocaille. Obstinément, ellles reprenaient le même itinéraire pour s'arrêter sous les mêmes ombrées.

Alors les voyant faire et tout en les guidant, l'Ermite pensait aux hommes qui toute leur vie durant, reprenaient sans cesse le même chemin, avec chaque année, les mêmes difficultés. Curé d'une paroisse, ça ne pouvait lui aller. Il lui fallait l'espace et le ciel immense pour noyer ses idées dans le regard de Dieu qui le surplombait.

Chaque roche lui parlait d'éternité et du peu de chose dont ce monde est fait.

Les fleurs que les premières gelées commençaient à décimer, disaient elles aussi que de la terre, tout recommencerait. Une saison en chassait une autre et les bergers se succèderaient, parcourrant la montagne, que lui aussi laisserait.

Cependant, là où en bas ils plaçaient la fatalité et l'abnégation spartiate du quotidien, lui, cultivait l'espoir dans son immense jardin.

Le jour où il s'éteint, personne ne comprit l'étrange sourire qui illuminait son visage. Nul ne pouvait supporter que l'on puisse trouver de la joie de laisser quelque oeuvre inachevée. Seul un vieux chien bourru et un jeune berger savaient toutes les merveilles qu'il leur avait légué.

vautours et troupeau 017

Son baton fut planté en terre sur un replis ensoleillé du Soula d'Inglars. Depuis, dit on, il donne encore des fruits que chacun peut découvrir en versant quelque sueur et en ouvrant son coeur au ciel immense et azuré.

Chaque randonneur, sans le savoir, peut trouver le regard que d'autres ont cultivé. Mais de l'expérience, il en est un secret, que seuls ceux qui ont vécu, peuvent s'émerveiller.

Rêvez donc de l'Ermite et de ces choses magiques qui hantent les sommets de Madres, la montagne sacrée.

Je vous laisse le souvenir d'un rayon de soleil sur le Mont Sinclair et de belles journées. N'oubliez cependant pas que le temps est changeant et rares sont les abris surs pour s'y réfugier.

Bonne balade !

Gilles.

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