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Dissidences Pyrénéennes.

Infos,patrimoine, politique locale, environnement,

Épidémie...

Épidémie.

C'était une belle journée d'automne, rieuse sous un ciel profondément azuré. Dans le village, chaque famille s'affairait aux préparatifs de la fête patronale.

Les drapeaux et bandéras ornaient rues et façades et chacun y allait costumé de ses plus beaux effets.

L'été avait donné une saveur d'avenir radieuse de ses bienfaits. Les récoltes assureraient le revenu et la tranquillité de passer le rude hiver Capcinois.

Tout était en place pour que la joie et le bonheur battent leur plein. Les jeunes hommes étaient forts et résolus. Sous leurs habits de fête, ils arpentaient fièrement les rues pavées et faisant jaillir des étincelles sous leurs sabots ferrés.

Les demoiselles en robes paysannes étaient aussi dans cet état de grâce que la jeunesse confère à des fruits murs et fermes d'intentions vivantes.

Nombre de mariages avaient clôturé la saison des foins et les tresses d'épis bien garnis ornaient les portes des maisons.

Tout s'étalait généreusement à qui veut profiter de la vie sous ce ciel si amoureux de la terre Capcinoise.

En bas du village, sur une estrade de planches, un orchestre répétait les morceaux qui allaient entraîner l'ivresse collective d'une population heureuse d'être simplement bien vivants.

Tout rayonnait et tout s'éclairait. Les lampions de papiers et les guirlandes avaient envahis chaque mur, chaque espace, chaque recoin.

Mr le curé, encore sous le coup de son sermon et de quelques verres de muscat accompagnait le discours du Bayle par de profonds regards approbateurs, bien qu'un peu embrumés.

Bref, la fète promettait d'être vraiment réussie et nul ne doutait qu'elle fisse référence dans la mémoire de tout le plateau.

Alors que le bal battait son plein, une odeur acre de fumée vint envahir la rue principale. Aussitôt, les couples se défirent.

Ici, chacun savait ce qui était en train de s'inscrire en trouble fête de cette joie qui cédait maintenant le pas devant les mines sévères et les regards assombris.

Un profond silence envahit le village. Les musiciens n'osaient même plus effleurer la moindre corde de leurs instruments. Le flûtiau était suspendu dans un souffle figé par un air glacé venu du plus profond du Carcannet.

Le Bayle envoya ses gens et déjà dans les rues chacun courrait chercher des seaux.

La maison, cause de l'incendie ne fut pas dure à trouver. La fumée se déversait en fleuves compacts par les moindres ouvertures. Le feu couvait dans la réserve de fourrage.

Trop pressés de rentrer le dernier regain, les Pages n'avaient pas attendu qu'il soit sec et bien craquant. Les quelques poignées de sel n'avaient pas suffi à absorber le surplus d'humidité et la fermentation tournait au drame avec ce début d'incendie.

La chaleur qui à force de couver, s'était propagée dans les couches plus sèches et une braise ardente sous le poids des gerbes cheminait vers une source d'air frais.

Nul ne doutait que les flammes allaient jaillir d'une minute à l'autre.

Trois chaînes humaines se formèrent aussitôt et les seaux puisés à la rivière allaient de main en mains aussi vite que ce que la peur de voir le village s'embraser motivait.

La fumée se fit plus dense et malgré les efforts redoublés, les boiseries et la volige s'éclairèrent soudain au milieu de la nuit.

Le feu donnait toute sa puissance dévoreuse dans un tournoiement ravageur.

Au petit matin, il ne restait que charbons et ruines, mais le reste du village était sauf.

Aux portes de l'hiver, sans fourrage, une famille était à coup sur condamnée.

Les bêtes sorties à temps étaient logées chez l'un et chez l'autre, mais il fallait les nourrir. Les occupants sinistrés avaient trouvé refuge tout comme leurs vaches, dans les maisons voisines.

Plus rien, ni habits, ni nourriture, ni biens. Tout s'était envolé en quelques heures d'un brasier impitoyable. Les efforts de tant d'années de labeur venaient d'être réduites à néant en seulement l'espace d'une nuit dont la fête prometteuse venait d'endeuiller profondément les mémoires.

Un malheur ne vient pas seul et les jours qui suivirent amenèrent un bien triste cortège de pleurs et de désespoirs.

La fièvre et la peur venaient consterner les lendemains de moissons trop belles.

Le visage couvert de pustules et le corps brûlant, les jeunes mourraient les uns après les autres. Chaque maison touchée vomissait ses habitants sur des charrettes macabres.

Il en succomba jusqu'à quatre vingt en un seul jour.

Les corps mêlés dans une fosse furent couverts de chaux vive. Le village entier fut placé en quarantaine.

A bonne distance, un barrage militaire interdisait tout passage. Les Dragons amenaient le ravitaillement dans une grande prade. Les gens du village devaient attendre le soir avant de ramener les denrées et autres médicaments qu'on leur avait laissés.

Alors que tout espoir semblait avoir fui ce village si radieux, Mr le curé décida d'une messe et d'une procession. Les survivants vinrent tous y mêler leur tristesse et ce farouche désir que cesse l'innommable maladie qui les terrassait en retenant en otage le reste de leurs ages.

Alors que les cloches pleuraient de leurs tintements monotones, soudain, le vent d'Espagne cessa et ce fut la renverse.

D'épais nuages gris envahirent les rues et les maisons. La senteur de l'humus et de la résine de sapin fit irruption en tous point du village mortifié.

Un froid mordant dans son linceul opaque prit chacun dans sa chair autant que dans sa tête. Levant les yeux au ciel, la population implorait à genoux le regard d'un dieu qui leur semblait désormais obstrué et si inaccessible.

Le froid gagna encore en intensité et le brouillard se mit à givrer jusqu'au fond des celliers, les moindres recoins ou l'air circulait.

Trois jours durant, il se fit plus intense et alors que tout semblait perdu, les charrettes cessaient de convoyer leurs tristes chargements.

L'épidémie cessait aussi rapidement qu'elle était survenue.

Miracle, miracle criait on à chaque coin de rue !

Si la messe qui suivit fut grande et si pieuse de remerciements et de prières pour les âmes enfouies, le village était exsangue et nombre de maisons se trouvaient désertées de la vie de ses habitants et de leurs rires éteints.

Peu importe d'où et par qui vint la maladie. Ce fut bien assez dur et si profond en chacun pour que les maux partagés traversent les couloirs du temps jusqu'à nous.

Bien des villages périrent ou presque et l'histoire du Capcir regorge de ces affres terribles qui marquèrent les hommes au delà de leurs chairs.

Plutôt que la mort, ce qui perdure, c'est souvent le fait que le brouillard du Carcannet vint et que soudainement l'épidémie cessa.

Il en fut ensuite, bien des pèlerinages comme celui de la "roda de cire".

Plus que la foi, c'est tout de même ce farouche état d'esprit qui tient aux gens du Capcir la force inébranlable de tenir.

Plus que les guerres, les misères du temps ou celles pernicieuses d'une quelconque fièvre, ce qui souvent détruit fut cette adversité divisant les maisons et bien plus souvent les villages.

Les vieux aujourd'hui disparus, leur sagesse éteinte, c'est maintenant le tour des étrangers de semer les graines empoisonnées. Eux souvent se vantent d'être au dessus de nous et pourtant, comme disait Mr Jean de La fontaine : "Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient atteints".

Bien triste vérole qui par une absence de mémoire souvent bien volontaire tente d'obliger les survivants à se taire plutôt que de laisser la moindre parcelle de lumière sur de bien sombres vérités...

Que monte du tréfonds quelque brouillard salvateur et que le Carcannet puisse encore étouffer les miasmes stérilisants de ces humeurs étrangères.

"Tots negats a d'intre d'una sacca !" (Expression humoristique Capcinoise...Le sort en est jeté...)

Ce conte est maintenant terminé et bien que les mots touchent à sa fin, ceux qui sont semés par ces vaines personnes étrangères au pays, n'ont pas fini de germer !

"Deú nos guard d'aquesta mala gent !"

G.

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