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Dissidences Pyrénéennes.

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Alto et la truite magique.

Alto et la truite magique.

 

Le temps passe comme l'eau qui saute d'une roche à l'autre. Là, juste sous ce gros rocher, je la vois.

Elle est noire et belle cette truite !

Rien que sa queue, c'est un battoir !

Cet artiste d'Alto, il se fait désirer. Jamais à l'heure aux rendez vous...

Si le soleil monte trop, c'est foutu, il faudra y retourner ce soir ou demain.

Ah ! Quand même, te voilà. Je commençais à désespérer.

Qu'est ce que tu faisais ?

J'étais retenu. Le vieux est malade. J'ai du sortir le fumier des vaches.

En plus, la brouette, sa roue a fini de lâcher.

Avec un fil de fer j'ai réussi à la rafistoler. Déjà que tout est bouffé par la rouille, va quand même falloir qu'il songe à la changer...

Bon, bon, bon...Attrapes la ligne. Elle y est. Voyons si on la sort cette garce !

T'as les vers ?

J'en ai pris cinq dans la boite du vieux. Ils sentent le café et un peu l'anis. Il est diabolique l'ancien.

Tu m'étonnes qu'il fasse d'aussi belles prises !

Pendant la guerre, il les descendait jusqu'en bas dans la plaine. Des fois il remontait avec des sous, mais souvent il échangeait avec le nécessaire. Ça permettait de survivre. Les boches ils raflaient tout.

C'est à ton tour Alto. Tâches de pas la louper !

Moi je me tiens en bas, faut pas qu'elle prenne le courant. La dernière fois, c'est comme ça qu'elle nous a cassé.

Doucement, faut pas faire de bruit !

Dans un mouvement ample et calculé Alto vient de poser son ver sur le bord de la veine d'eau, à gauche du trou. Naturel, sans tension, il faut qu'il prenne le tourbillon pour qu'il arrive à la bonne vitesse, sinon, elle va se méfier.

Il tourne, il tourne dans ce remous.

Imperceptiblement, Alto redresse sa branche de noisetier qui lui sert de canne. Le fil est un peu gros, mais avec le bouillon et le soleil, elle le verra pas.

Le ver se tortille sur son hameçon. Ça le traverse de la tête presque jusqu'à sa fin. Juste un peu avant l'ardillon pointe discrètement.

Ce coup ci, c'est bon. Il se dirige droit vers la cache de cette belle maman !

Alto relâche un peu la tension.

Tout à coup, le fil vient de s'immobiliser.

Faut ferrer, mais pas de suite. Une fois elle l'a recraché. Faut qu'elle ait confiance. Là, ça vient de bouger légèrement.

Alto vient de le sentir dans le poignet. Vivement, à deux mains il relève la ligne.

Il sent l'hameçon qui vient de se piquer dans la lèvre du monstre.

La canne plie au trois quart, mais ça tient !

Elle sort !

Elle est énorme !

Vite, faut l'empêcher de passer la basse, elle va prendre la force du courant !

Je saute à l'eau. Elle est glacée !

Avec mes deux bouts de bois je frappe la surface de toutes mes forces.

Alto, tiens bon, elle remonte vers toi.

Pas question de la laisser faire. Alto levait sa canne en maintenant la tête de la rageuse vers en haut. Il tentait de la « noyer » et d'épuiser ses forces.

Elle avait pas dit son dernier mot et tentait de passer à la basse supérieure.

Alto pencha sa canne à gauche pour la faire tourner. Le noisetier ployait à outrance. Il risquait de se briser à tout instant.

C'était pas facile. Il fallait conjuguer la force et la souplesse tout en ne forçant pas trop sur le bois. Ça faisait trois fois qu'elle tentait la manœuvre et inlassablement, Alto et le noisetier tenaient bon.

Elle commençait à faiblir, ses mouvements ralentissaient. Il y avait de la lassitude. Elle savait que celui qui la tenait s'était longuement exercé. Alto l'accompagnait doucement comme dans une caresse lente et appuyée. Ils se sentaient aussi liés l'un à l'autre que chaque seconde semblait une éternité.

Alors sa tête sortit de l'eau.

Elle tourna le flan au soleil qui vint la faire miroiter dans ses dernières traversées. La fin était proche !

Surtout ne pas lui laisser reprendre de l'énergie dans le flot de son élément.

Alto, tout en maintenant la tension descendait dans le torrent.

Il fallait bien coordonner la sortie. Pas question de tirer bêtement sur la ligne.

La casse serait immédiate.

Tous les deux, du même côté, l'eau glacée jusqu'aux genoux, on tentait de la soulager avec nos mains. Je lui caressais le ventre et elle ne réagit même pas.

Un à la queue, l'autre à la tête.

A la une, à la deux, à la trois. Ho hisse.

Ça y est, elle est sur l'herbe.

De gros points rouges constellent ses flancs. Qu'elle est belle !

On s'embrasse, que de joie...

Puis, nos regards se croisent dans celui qui s'éteint, quelque chose de sombre vient de passer entre nous.

Elle ne bouge plus.

C'est fini. Il en faudra des années avant que l'on puisse en retrouver une d'aussi belle !

Vite, on lui passe une branche souple de saule dans les ouïes et nous voilà partis vers le village. Le vieux, il va en faire une gueule !

Ra-sabat da nón !

Il faut fêter ça les petits. On va inviter les voisins et la famille.

Quel repas ça va faire !

Ce fut une belle noce. Et nous de raconter cent fois à qui voulait l'entendre.

Depuis, les années ont passé. Le trou dans la rivière il a été bouché par des travaux de rive. Sur, il doit y en avoir d'autres comme celle là...

Qui sait, un jour peut être ?

 

Elle vous a plu, cette histoire ?

Alors, qu'attendez vous, demain ce sera vous, tout comme Alto qui combattrez la truite de vôtre vie !

A vos cannes et M...

Mais surtout n'oubliez pas que de la force rien ne tient, sinon dans la souplesse. Plutôt que de vouloir tout, tout de suite, il faut savoir accompagner le temps de caresses longues et appuyées.

Alors, ce sera à bonne portée. Maintenant, si la mort vous fait peur, vous pourrez toujours la relâcher.

Tant pis pour le repas avec les voisins et la famille...

 

Gilles.

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