Arbres vivants.

Arbres vivants.

Je sais une forêt où les hommes viennent se reposer. Je connais les sources qui alimentent leurs vies. Viens, je t'emmènerais.

Pénétrant sous l'ombrage d'une mosaïque lumineuse qui au sol mitige le chemin, nous avancerons en se donnant la main.

Près du vallon qui sépare les versants, une plaine s'étend couverte de mousses et bordée de pierres anciennes.

Dans cet espace délimité tu pourras te ressourcer.

Là, tu te redresseras et ton souffle se mêlera à celui de l'étrange forêt. Tu inspireras sous le soleil, pénétré jusqu'au fond de ton âme des bienfaits naturels. Tu expireras doucement dans toute ta liberté retrouvée.

Viens, je t'amènerai là où tu n'attends pas. Tu sentiras la terre te parler et petit à petit, tes origines remonteront comme la sève des grands arbres.

Tu retrouveras sous l'humus la fraîcheur de la nouvelle plante. Entres dans la terre qui te grandit, te porte et te soutient.

Étends tes bras au ciel et contemples la voûte étoilée. Sens tu déjà le balancement des frères auquel se partage le tien ?

Dissous et rassemblés, dans cette mer d'émeraude, bercés et apaisés, vous ne ferez plus qu'un. Vos mots en murmures se fondront. L'harmonie musicale grimpera aux étoiles d'un ciel toujours nouveau. Le froid ne mordra plus et l'été ne brûlera pas vos écorces si lisses.

Tout en vous élevant, vous dominerez ce qui fait vôtre force, ce qui fait vôtre bois.

Vos noeuds se déferont et de vos mains multiples vous recevrez les dons venus de l'univers tout entier. Devenus des piliers, vous soutiendrez le ciel en y plongeant vôtre faîte. Dans vôtre coeur grandira une étoile, qui se mêlant aux autres, étendra ici bas ce qui brille là haut.

Alors, viens, ne sois plus hésitant et traces ton chemin. Laisses en bas la vigne et ses corps torturés par des ciseaux mal affûtés. Lâches prise sur tes habits anciens et rejoins ceux qui sont des tiens.

Là où tu t'étendras, là, tu reposeras. Les caresses du vent inspireront ton souffle de senteurs naturelles. Viens et tu vivras enfin ce qui fait ton chemin. Arbre vivant parmi les vivants tu seras la forêt et la ruche qui bourdonne. Ta mère éternellement te donnera le détachement d'un amour retrouvé.

Multiple dans la multitude qui ne fait plus qu'un, rien ne pourra t'atteindre. Si la hache un jour s'abat à la cime de ton oeuvre, saches que ton feu durera autant que celui qui ne s'éteint pas.

Tes enfants deviendront ceux qui portent l'avenir autant que le passé. Demain est déjà là. S'ils ne sont plus les tiens, ils ont la même veine et sous la voûte souveraine s'entend déjà le bruissement de leurs ramures mêlées. En eux tu vis et continues ce qui n'a pas de fin.

Chêne ou Hêtre tu seras comme le pin. Ta chair nourrira le destin.

Ta sève coulera sous d'autres écorces.

Viens, n'attends pas. La porte du passé n'a jamais existé, seule celle de demain ouvre sur ta venue. Tu es déjà là, mais tu ne le sais pas. Alors n'hésites plus !

Viens, donne moi la main.

Ma voix qui parle en toi est aussi ta voix que tu n'entendais pas. Elle est la voie du monde adressée à tous ceux qui s'élèvent. Ouvres en bien l'écart qui donne bonne mesure aux pas qui te mènent déjà.

Qu'ils s'étendent ou s'élèvent, ta raison se construit en bonnes proportions. Ta sève est faite de sagesse. Écoutes la nature, elle est ta nature. Viens et deviens ce que tu es déjà. Sois cet arbre vivant parmi les arbres riants. Prends et à la fois donne, telle la ramure de celui qui étend ses bras. Viens, donnes moi la main, il est déjà demain.

Je connais une forêt qui grandit en toi. Je connais une forêt où tu es déjà. Je connais une forêt...

Gilles.