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Dissidences Pyrénéennes.

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Métamorphose...

Métamorphose...

L'air paisible, sans un souffle, devenait palpable sur les rives du lac. Nous étions quelques uns à dresser nos lignes en espérant une pêche riche de sensations , mais surtout de quelques belles truites pour le repas dominical.

Alors que le silence tendait son filet de rayons solaires, nous observions l'imperceptible mouvement de nos bouchons, noyés dans ce paysage miroir. Concentrés, la volonté de le voir s'enfoncer et disparaître nous absorbait au point que le silence lui même en devenait aussi matériel que gênant.

Quasiment immobile et si concret, sans que l'on s'en aperçoive vraiment, ce qui nous entourait prenait une autre dimension aussi abstraite que omniprésente au point de nous avaler d'un seul regard.

Tout semblait figé au dehors alors qu'en nous se bousculaient tant de pensées sonores et d'images dérivantes au fil de la mémoire et d'un temps d'éternité.

Du bouchon à présent ballotté par une brise légère, en passant par ce souffle discret qui caresse de fraîcheur le visage impassible, nous pêcheurs de lumière, attendions la magie illusionnée de nos rêves lacustres.

Finalement, plus que la touche, c'est bien ce rêve que nos allons cultiver en nous. Ce rêve qui nous berce et nous transporte comme statues immobiles dans un monde en mouvement.

C'est ce mécanisme qui vitrifie le regard comme deux hublots opaques et qui se met à éclairer ce qui est en nous par ce qui nous entoure.

Alors, dans cette lenteur de la terre en mouvement, le bouchon qui vient de disparaître tout à coup nous éjecte de la divine torpeur.

Ensuite, c'est la maîtrise du geste qui tente d'apprivoiser la truite rebelle et sauvage, autant au bout de la ligne que celle qui en nous se tortille et saute pour mieux nous échapper.

Entre deux eaux nous sommes, celle du rivage et celle qui s'agite en nous avec tous ces remous, ses algues et ces troubles vaseux qui se soulèvent comme autant de questions demeurées sans réponse.

Mais tout à coup, la voilà qui se montre alors tout disparaît, le rêve s'est enfui devant celle qui émerge, éclaboussante de soleil et de couleurs si vives.

Lorsque nous l'échouons sur le sable doré, le rêve a fait naufrage, mais la joie éphémère explose en rires que l'on doit aussitôt taire, car la pêche continue et les voisins sévères nous les reprocheraient.

Les yeux sont envieux et pèsent autant qu'ils gratifient cette prise lumineuse comme un trésor jaillit du fond de nos ténèbres.

Ensuite, le geste devient fatal, car plus que la mort, c'est la souffrance qu'il faut épargner. Elle ternit d'un coup et rejoint son suaire au fond d'un panier d'osier.

Vite, il faut remettre un ver et relancer autant la ligne que cet espoir tendu de tout recommencer.

Le pépé n'a pas pipé un mot mais son regard discret a tout suivi du geste.

Assis sur son rocher, il relève et relance lui aussi sa bannière scintillante. La gravité entraîne sa plombée au plus profond du lit de cette rivière qu'il devine juste à sa portée. Une à une, sans même sourciller, il engrange ses pensées comme ces belles truites qu'il dépose au panier.

Alors que dévoreuses de temps et de vers, elles s'acharnent à nous faire oublier qui nous sommes d'humains par des automatismes, ces truites nous attirent, comme nos appâts pour elles en sont aussi tentants.

Pêcheurs attrapés au jeu de la pêche, nous sursautons dans un panier aussi grand que la terre qui nous a enfanté.

L'histoire se répète sans jamais être pareille et la besace s'alourdit autant de poisson que de nouveaux souvenirs, les uns bousculant les autres.

Au compte, à demi fait, il est temps de rentrer, car si le nombre y est, le chemin de retours est à envisager autant de sa longueur que de l'heure qui s'avance en rendez vous manqué.

Les lignes sont pliées dans un cérémonial qui inverse le temps en gestes aussi précis que ceux qui les avaient posés. Reprenant nos affaires, il demeure le poids de nos prises et ce plaisir si grand qui allège nos pas sur la côte à gravir.

Alors tout se délie et vient la parole du sage qui invite au mystère. Le vieux qui a bien observé attire le regard et forme les pensées sur une fleur sauvage au détour du sentier. C'est un dialogue à trois qui ne devient qu'un seul silence et nous montre du doigt ce qui ne peut se voir. Plus que ce que l'on sait, apparaît le mystère de ce que l'on connaît.

La fleur se met elle aussi à parler, livrant de sa beauté les vertus et remèdes qu'elle a dissimulés. Sous sa beauté si simple et sa façon charmeuse d'apparence fragile, elle nous envoûte du parfum volatile et chatoie le regard de ses couleurs discrètes.

Plus que ce qu'elle devient en graines et saisons, elle demeure ce qu'elle est, comme nous même en somme si nous n'évoluons.

Un papillon passant nous le montre lui aussi qui sortit du cocon pour sans cesse revenir au stade primitif qui volette à butiner la fleur tant désirée.

Fleur et papillon, nous le sommes aussi. Les mots nous éloignent de la réalité par ce voyage vain qui fait l'éternité.

Générations après générations nous sommes si semblables et pourtant différents du poids de la richesse que nous avons transmis. Pourtant, nous nous dégénérons, en croyant si bien faire, que l'évolution ne puisse engendrer ce qui est nécessaire pour la continuité.

Plus que la moisson de fleurs ou de truites, il est celle des choses intérieures ne s'offrant qu'à celui qui vient de naître et qui va les chercher.

Alors sortant de son mutisme l'ancien se retourne et se met à parler :

  • "Le bon est beau alors que ce que tu crois beau n'est pas forcément bon, quoique, à quelque chose, malheur est bon"...

Est ce l'âme qui répond ou bien alors l'esprit ? Peut être un peu des deux emmêlées dans l'écheveau de cette ligne si difficile à détortiller.

Chacun se le dira ou peut être, dans un silence lourd trouvera la réponse de ce que l'on ne dit mais ressent plus que tout.

Le temps reprend son cours et nous voilà montant les derniers pas qui nous ramènent au village et aux apparences coutumières de la famille unie.

Sur la table dominicale dressée, les truites dorées et fumantes ne feront oublier celles qui nous ont offert autant le plaisir du combat que celui d'une fleur qui a grandi en nous.

Les bouches sont avides et la salive coule avant même la fourchetée fumante ou le mot qui glisse sur la nappe en donnant rires et sourires épanouis d'histoires et d'images que l'on s'envoie d'un bout à l'autre de la table, comme de ce repas de fête qui n'en finit jamais.

G.

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