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Dissidences Pyrénéennes.

Infos,patrimoine, politique locale, environnement,

Le bâton qui chante.

Le bâton qui chante.

 

 

En suivant ce chemin escarpé, tandis que mon regard scrutait chaque pierre, mes pieds endoloris tentaient de se poser surement.

La pente était forte et toute ma volonté se rivait sur ce petit périmètre douloureux. Bien que je connaisse l'itinéraire de cette randonnée, rien n'était encore acquis. J'en avais encore pour des heures.

Tout se résumait là, dans ce passage difficile.

Le soleil qui montait, amenait à présent quelques ruisseaux de sueur qui me brûlaient les yeux et dégoulinaient entre mon sac et mon échine courbée.

J'essayais aujourd'hui un tout nouveau bâton que mon père avait travaillé quelque peu dans l'idée et avec toute l'affection qu'il me portait.

Le bois venu d'un périple africain était d'un acacia presque sans défaut. La ferrure était franche. Elle s'ouvrait en une croix de malte renforcée d'un insert résistant.

En m'appuyant sur mon amont, je tentais quelques pas sur un éboulis de schiste. Mes mains surement placées, sans toutefois faire ployer ce compagnon, glissaient le long du bois.

Un plaisir d'équilibre et un poids raisonnable en faisait un outil indispensable dans ce travers délicat.

Tout se déroulait tranquillement dans la patience coutumière du marcheur solitaire. Pas à pas, traversée par traversée le passage livrait à présent une pente plus régulière. En bas, une belle roche ombragée me promettait un repos mérité et le plaisir d'une eau bien fraîche.

Tant et tant de dénivelés et de sacs à dos transportés avaient contribué à enrichir ma mémoire et mon cœur de souvenirs joyeux.

En revanche l'usure et la douleur, me rappelaient aujourd'hui que sans mon bâton, je ne pourrais plus marcher.

Mes genoux renâclaient au plaisir dépassé de toutes les courses de mon passé.

 

Là, à l'ombre d'un pin, je posais mon copain. Le sac s'allégeait de quelques gorgées.

Sûr, là bas sous cette barre, à cette heure ci, il doit y reposer quelque isard !

Je saisis mes jumelles et profitais de l'instant pour chercher du regard l'animal dissimulé.

Il me sembla bien qu'il était là, mais le vent qui se levait, venait perturber mes gestes les plus surs. Je me saisis du bâton pour improviser un trépied.

Incliné sur le sol et penché sur ma joue, il ajoutait à mes pieds toute la stabilité.

C'est alors, que tout à commencé...

Alors que je croyais mieux voir, je me mis à entendre. C'était plus que des mots, plutôt une musique qui montait de la terre et venait jusqu'à moi par la fibre du bois.

De mon regard coutumier, je débusquais un beau mâle couché sur une pierre. Je ne fus pas surpris d'entendre son cœur battre paisiblement. Le calme régnait partout alentours et pourtant j'entendais les sons les plus discrets.

Cependant, le temps s'écoulait et il me fallait redescendre au fond de la vallée.

Quelques heures plus tard, content et satisfait, je poussais la porte du refuge enfumé.

Ma main et mon bras résonnaient encore de tout ce que mon bâton me transmettait.

Dans ma tête, je revis le sentier, le périple et des images insoupçonnées.

L'acacia est surprenant de vérités, allant chemin faisant, il me les a chanté.

Sous la terre, une grotte et un mince filet. Là bas tapi dans l'herbe un morceau de rocher qui se lamente de se retrouver seul depuis qu'il s'est détaché.

Encore plus loin, le pas des troupeaux, des chiens et du berger.

La descente qui se prépare et la fin de l'été.

Au fond du bois, un arbre qui raconte de drôles d'histoires pétries de vent d'Espagne et de giboulées.

C'est tout un monde qui me parle et le bâton de chanter.

Je vide mon sac sur le sol encombré. Je trie ce qu'il me reste et je mets de côté. Une branche morte ira nous réchauffer avec ces quelques pignes sur le feu qui crépite à souhait.

Cette nuit sera longue, demain je rentrerais.

Quelques tranches de lard, un bout de pain de seigle, une giclée de vin et pour finir, de ce fromage de lait caillé. Il me reste un oignon et un peu de café.

Ici sous ce toit, on partage ce que l'on a. Je tends vers mon voisin les quelques victuailles et la « boute » de cuir épais. La fumée nous sépare, mais la gourde revient pour me désaltérer.

Brisant un peu mes rêves, il se met à parler. Comme un autre moi même il me raconterait tant de choses vécues et que je ne peux oublier. Je l'écoute et à mon tour je grommelle la vie et ses difficultés.

Ma chienne se tenait là, il y a bien des années. Depuis elle est partie.

D'autres l'ont suivi et tant que j'estimais.

Je déverse le torrent turbulent de ma vie et tous ses rochers.

Tandis que la flamme danse sur le mur de chaux et ses noires trainées, il me revient en mémoire le fil de mes années. Je suis bien usé aujourd'hui, pourtant j'ai de bons souvenirs et presque aucun regret.

La nuit se fait plus noire, le soleil a tout emporté dans sa course de voleur. Mais demain, repentant du larcin, il viendra tout ramener.

Ce vin des Corbières est empreint des brumes maritimes et de la chaleur étouffante de cette terre voisine. Les sangliers n'ont pas pu emporter la récolte millénaire que ces hommes rudes ont muri et jalousé.

La tête dodeline et le rêve nous appelle.

Je saisis mon bâton pour aller m'allonger sur la couche de genêts qui voisine le feu et nos souvenirs passés.

Serré tout contre moi, il me tient compagnie. Mais c'est un mauvais coucheur, il me parle toute la nuit.

Mes rêves vont courant de ce que je ne peux marcher.

Drôle de tuteur d'une vigne tordue, il me renvoie à des ages que j'avais bien couru.

Soudain, tout s'illumine et le sol se met à trembler.

En s'accélérant, il m'entraine dans une ronde fantasque ou les images volent dans une tourmente de neige. Chaque flocon me parle de longues glissées, de batailles rangées dans la cour de l'école, du maître trop sévère et des amis envolés. Ma tête tourbillonne et le vent s'y commet à des incertitudes que la neige a gommé.

Tout me vient et repart, jusqu'à ce quai de gare et ce train égaré dans une mémoire qui déverse son flot de paroles, de rires, de visages et de plaisirs ensevelis sous une avalanche d'années.

Je transpire et me tues à moitié. Le train roule et je suis balancé. Soudain un isard fuit et un visage apparaît.

Serait ce mon ami Jean et son vieux fusil à l'épaule ? Le temps et les parfums de l'automne se ravivent d'un chant qui glisse sur les genêts ?

Je sens presque l'odeur et les rires d'une belle journée.

Cette bête qui fuit et le café qui chauffe sur une pierre du galbe ou d'une autre contrée.

La nuit se déroule et me poursuit sur un échafaudage où je promène des seaux de mortier. Mon grand père qui rouspète et le mur qui s'habille de la couleur du sable et de la chaux qui fumait.

Tout est dans un brouillard qui me ramène aux cueillettes de cèpes dans le Carcannet. Mais le temps est bien court, il faudra qu'il se taise, celui qui me promène dans mes jeunes années.

Le bâton est bien là et moi je suis défait. Un ultime sursaut me sépare d'un monde où j'allais pêcher. La truite est bien vive et le torrent abrupt. Elle saute au soleil et je suis ébloui.

L'écume m'absorbe dans l'amère chanson, que ce démon aborde sans me laisser son nom.

Je transpire et j'en sue de tous ces rêves là, que je croyais envolés.

Enfin, je m'éveille. Tout disparaît. Le feu s'est presque éteint et le café déborde sur la pierre de cet antique âtre que les pâtres ont dressé.

Décidément, quelle belle nuitée !

J'en suis tout remué, mon cœur était éteint et il s'est ravivé.

Comment, avec tout ce passé, avais je pu oublier ?

La grisaille du temps s'est enfin envolée.

Je me retourne sur le bois qui me conte en silence de mes belles envolées. Je lui parle en retour de celles à gagner...

Mais c'est un autre conte, "il me faut me lever"...

 

Un autre jour peut être si je suis toujours là, je vous le dirais. Bien des voyages en somme avant de s'endormir...Patatric patatrac, tric trac, ló cónto es pas acabat !

GP

 

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